mardi 26 mars 2013
La décentralisation congolaise est
en panne
"On donne l’illusion qu’on gouverne, mais rien
n’avance".
La Libre Belgique, Mis en
ligne le 26/03/2013
Prévue par la Constitution, elle
n’avance pas, constate le Pr Paule Bouvier.
Congo-Kinshasa.
Adoptée par référendum en décembre 2005 par 84 %
des voix, la Constitution congolaise de 2006 devait mettre en
place un régime semi-présidentiel dans un Etat unitaire mais décentralisé.
Alors que l’agitation gagne le Katanga, "La Libre Belgique" a
interrogé une spécialiste de la décentralisation congolaise, Paule
Bouvier, professeur honoraire à l’ULB et membre honoraire de l’Académie royale
des Sciences d’Outremer, qui vient d’écrire un ouvrage sur le sujet. (1)
Toujours onze provinces
seulement
L’Etat compte onze provinces, "ce
qui est peu pour un pays comme le Congo; ce n’est presque pas de la décentralisation
à vrai dire. Voilà pourquoi, selon la Constitution de 2006, il doit en
compter 26 ", dit Mme Bouvier. Or, bien que l’article
226 de la loi fondamentale indique qu’elles "entreront
en vigueur endéans trente-six mois qui suivront l’installation effective des
institutions politiques", sept ans plus tard, ces 26 provinces
n’existent toujours pas.
L'Assemblée nationale puis le Sénat ont adopté
fin 2012 un projet de loi organique fixant les limites des vingt-six provinces,
mais les deux chambres doivent encore adopter un texte harmonisé, qui devra
être promulgué par le Président, qui peut le renvoyer en seconde lecture. Il
faudra enfin rédiger et publier les décrets d’application. "Sans
compter que le ministre de l’Intérieur a commenté ce vote en annonçant que
chaque province appliquerait la loi ‘à sa vitesse’. Qu’est-ce que
cela veut dire ?", s’interroge la politologue.
Le financement de 40 %
toujours absent
Pour que les provinces soient viables, la Constitution
prévoit, rappelle Mme Bouvier, "les moyens de les financer, avec
le fameux article 175 qui dicte que ‘la part des recettes à caractère national
allouées aux provinces est établie à 40 %. Elle est retenue à la source’
- article qui n’est tout simplement pas appliqué. Le financement des provinces
reste sou mis à l’arbitraire du pouvoir central". Or,
l’article 220 de la loi fondamentale interdit
"formellement" toute révision de la Constitution qui réduirait
les prérogatives des provinces.
"Force est de constater que
du côté du pouvoir central, il n’y a eu aucune bonne volonté - au contraire -
pour favoriser le développement autonome des provinces."
"Différents prétextes
ont été avancés pour ne pas mettre en œuvre l’article 175", détaille la politologue.
"On a dit que certaines provinces ne disposaient pas des mécanismes
financiers nécessaires; mais il aurait suffi de les créer. On a dit aussi - et
c’est plus proche des réalités locales - que si on l’appliquait, on
favoriserait les provinces les plus riches (Katanga, Bas-Congo et Kinshasa);
mais la Banque mondiale a étudié ce point et jugé qu’il était
possible, lorsqu’on calcule les taxes à l’exportation revenant à chaque
province, de prendre en considération la province de départ du bien
et pas celle où la taxe est perçue. De plus, une Caisse de
péréquation a été prévue par la Constitution " (art 181) pour corriger les déséquilibres de développement
existant entre les provinces, "mais elle n’a jamais été
créée".
Les gouverneurs démis
Mme Bouvier souligne d’autres indices de la mauvaise
volonté de Kinshasa pour mettre en œuvre la décentralisation. "Par
exemple, la révision constitutionnelle de janvier 2011, qui donne au
président le pouvoir de démettre un gouverneur de province en cas de
"circonstances politiques graves" - formulation trop vague pour ne
pas être vue comme défavorable à la décentralisation." "Ou
les élections locales qui n’ont jamais été organisées",
ajoute-t-elle. Et de souligner que seules la présidentielle et celle de
l’assemblée nationale ont été organisées en 2011.L’exécutif et le législatif
provinciaux, ainsi que le Sénat national - élu par les assemblées provinciales
- sont ceux de 2006.
Et les conférences des
gouverneurs ?
Le professeur retient encore que la Constitution
prévoit, en son article 200, une conférence des gouverneurs de province "au
moins deux fois par an", convoquée par le chef de l’Etat.
"Bien avant que la première
conférence des gouverneurs n’ait eu lieu (2009), les assemblées provinciales
avaient adopté la Déclaration de Matadi (2007), qui comportait une
série de demandes au pouvoir central - dont l’application de la règle des
40 % - sur un ton assez revendicatif, bien que la majorité des
gouverneurs appartiennent à la majorité présidentielle. La seconde
conférence des gouverneurs n’est intervenue qu’en 2011 ! Et il n’y en a pas eu
d’autre avant la fin de la première législature",
explique Mme Bouvier.
En outre, un certain nombre
de gouverneurs ont été remplacés.
"Au total, le pouvoir central n’a pas du
tout concrétisé le pouvoir dont les provinces pouvaient se prévaloir au nom de la Constitution
et a récupéré à son profit ce qui n’a pas été accordé aux provinces",
souligne la politologue.
En définitive, où va le
Congo ?
"Au Congo, tout est
possible", répond le professeur. "Mais il faut dire que la
situation actuelle est plus difficile qu’elle ne l’a jamais été. Il y a des
rejets du pouvoir central. La situation devient de plus en plus
chaotique dans les régions où il y a des conflits armés (Kivu, Province
orientale, Katanga). La communauté internationale, bien que
relativement ambiguë, réclame tout de même régulièrement des réformes profondes
du système politique congolais - alors que les solutions proposées par Kinshasa
ne sont pas convaincantes. On donne l’illusion qu’on
gouverne, mais rien n’avance".
(1) "République démocratique du Congo --La décentralisation --De la
première à la troisième République", de Paule Bouvier, sous la direction
de Jean Omasombo Tshonda. Ed. Le Cri/MRAC. 368pp grand format, 29 euros.
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