lundi 3 mars 2014
Kabila... tel est pris qui croyait prendre?
Par AnicetMobetpublié
le 24/02/2014 à 23:52, mis à jour à 23:52
RD Congo : des assassinats impunis au coup d'état
d'opérette et à l'imbroglio des concertations nationales
Kabila craint d'être
pris à son propre piège! Ainsi s'intitulaitl'entretien que j'avais accordé à
l'Express (30 nov.2011) lors de l'élection présidentielle en
2011. Trois ans après, Joseph Kabila se retrouve dans la nasse: les
Congolais ont déjoué le piège qu'il leur a tendu lors des " concertations
nationales".
D'emblée, les esprits
avisés ont flairé dans ces concertations une sordide manoeuvre pour détourner
l'attention de noirs desseins du Chef de l'Etat, soucieux de consolider un
pouvoir issu d'élections entachées de fraudes massives avérées. Aussi s'est-il
évertué à appâter des politiciens retors avec des promesses de promotion
politique pour élargir le cercle des courtisans qui soutiennent son projet de
se cramponner au pouvoir en violation de la constitution.
Laminées par la
violence sociale qu'engendre la brutalité d'une prédation des ressources
économiques dont tire profit la classe dirigeante. Brisées par la violence
armée des seigneurs de guerre soutenus par le gouvernement rwandais (M23), des
milices (Kulunas) agissant en toute impunité et des soldats de l'armée
rwandaise dans laquelle a servi l'actuel chef de l'Etat, les masses populaires
se trouvent anéanties. Rappelons qu'en 2009,il a accepté que les soldats
ruandais se déploient au Congo. Le président de l'Assemblée nationale
démissionna pour protester. L'amnistie accordée aux auteurs d'assassinats
politiques scandalise le peuple.
Outrés par la mollesse
de réaction du chef de l'Etat face aux dénégations du président Kagame, en dépit de multiples rapports de l'Onu
et à l'arrogance du commandant James Kabarere qui fut son chef hiérarchique
dans l'armée rwandaise, les partis d'opposition et de larges secteurs de la
société civile ont finalement accepté de participer aux concertations
nationales.
Quoique méfiants et
sceptiques, ils étaient déterminés à s'approprier cet événement politique pour
en faire un espace citoyen où ils peuvent exprimer leurs revendications, un
lieu de réinvention du politique afin de reconstruire l'état. Rien n'y fit :
les dés étaient déjà pipés. Joseph Kabila est embourbé dans les marécages de
mécomptes de l'AFDL et de ses succédanés dont les effets pervers se trouvent
aggravés par les encombrants héritages résultant du régime Mobutu et de la double crise de la
colonisation et de la décolonisation.
De l'escroquerie
politique de l'AFDL à la forfaiture....
La forfaiture que
constituent la révision constitutionnelle de janvier 2011 et celle projetée
pour contourner le prescrit constitutionnel limitant à deux le nombre de mandat
présidentiel, ainsi que le holdup électoral de novembre 2011 n'est pas un
simple incident de parcours. Elle illustre piteusement les multiples
contradictions qui ont émaillé l'intrusion et l'ascension de Joseph Kabila dans
le champ politique - grâce à l'armée rwandaise - et le renforcement de sa
position dans l'appareil militaire, ainsi que sur l'échiquier politique.
Il importe de tenir
compte à la fois du contexte historique et politique dans lequel s'inscrivent
ces contradictions, ainsi que son équation personnelle: en 2011, sa désignation
à la tête de l'Etat - dans des conditions opaques - a ouvert le sinistre bal d'
une lamentable régression intellectuelle et politique qui peu à peu transforme
certains pays africains en satrapies gérées comme des fiefs claniques par des
"seigneurs des guerres".
En 2006, en insistant
sur la nationalité, clairement établie, de tout candidat à l'élection
présidentielle; les Congolais voulaient briser un engrenage infernal: depuis
1960, les ingérences étrangères ont érigé un dogme selon lequel, nul ne peut
accéder aux plus hautes fonctions de l'Etat s'il n'est soutenu - voire
"fabriqué" - par les gouvernements belge, américain et français
depuis 1977-1978. Appréciées à l'aune de l'histoire du Congo, les tutelles
diplomatiques, militaires et politiques qu'exercent le Rwanda et l'Ouganda,
avec l'aval américain, sur les "rébellions " depuis 1996-1998, ainsi
que sur les composantes politiques qui en sont issues, s'analysent comme une
double rupture.
Rupture avec la
clairvoyance politique des personnalités qui ont pensé et dirigé le mouvement
d'émancipation politique - intellectuels de Conscience Africaine,de l'Abako
;leaders politiques du Mnc ,de l'Abako et du Psa en1956/1960 - ayant abouti à
l'indépendance. Rupture aussi avec les engagements intellectuels du mouvement
étudiant- Ugec et l'Agel- (1961-1991) résolument opposé à un régime inféodé aux
parrains étrangers.
Cette régression ne
cesse de s'aggraver et de s'amplifier comme l'illustrent d'une part
l'indignation suscitée par la révélation en 2012 de la présence des soldats
rwandais sur le territoire national alors qu'ils étaient censés être rentrés
chez eux depuis décembre 2009. D'autre part le curieux itinéraire électoral
qu'emprunte l'abbé Malu-Malu s'inscrit dans une vaste escroquerie
politique.
Avant de débattre du
calendrier électoral avec la représentations nationale, il est venu d'abord en
Belgique s'assurer du soutien des parrains de Kabila pour les rassurer du sort
de leur poulain. Il n'est donc pas étonnant que- fort des assurances des
tuteurs - lors des discussions à l'Assemblée nationale chez nous qu'il ait
envisagé -en des termes à peine voilés - l'hypothèse d'une révision
constitutionnelle.
Par ailleurs, dès
2006, les Congolais voulaient éviter qu'un drame familial personnel ne se
transforme en un facteur structurant de la tragédie d'un peuple. Ils n'ont pas
oublié les immenses dégâts politiques et le gouffre financier occasionnés par
l'esprit de lucre d'innombrables oncles maternels attitrés du Président Mobutu.
Chacun d'eux gérait des multiples coteries regroupant des proches parents du
Président et leurs alliés, ainsi que quelques personnalités originaires
d'autres régions.
Ces coteries servaient
de lieux de cooptation des individus devant intégrer la clique présidentielle
et la confrérie régnante, repaires de ceux qui bénéficiaient des dons
personnels du Président, notamment les nominations à de hautes fonctions dans
les organes du Parti unique et de l'appareil d'Etat. Aussi, il fallait sans
cesse augmenter la "dotation présidentielle" pour entretenir ces
écuries en compensation de l'adoption que le clan Ngbandi accorda à l'ancrage
familial du Président.
A la fin des années
1990, sur trente-sept officiers supérieurs de l'armée, la région de l'Equateur
en comptait dix-huit, soit 46% ; tous les services de renseignements (civils et
militaires) étaient dirigés par les Ngbandis ou, à défaut par un ressortissant
de l'Equateur. Ces favoritismes ethniques n'ont guère accru l'efficacité de nos
soldats comme le prouve la déroute devant l'armée rwandaise en 1996-1997.
Le clan des Balubakat
fait payer aux Congolais le prix le plus fort de la "reconnaissance
parentale" accordée au Chef de l'Etat. Ils ont exigé et obtenu quasiment
tous les ministères régaliens du gouvernement. Craignant d'être évincés par le
"clan des Tutsis" - puissamment soutenus par le Rwanda - les
Balubakat intensifient les surenchères, qui parasitent le jeu institutionnel. Le
devenir du Congo et le sort des Congolais sont sacrifiés sur l'autel de
sinistres desseins de véreux personnages.
Ainsi le piège
grossier qu'il tendait aux Congolais se retourne sur Kabila lui-même, soumis à
la fois aux revendications de "ses parents" et aux exigences de ceux
dont les soutiens militaires lui ont ouvert les voies du champ politique en
1996-1997; sans oublier les pressions de tuteurs qui l'ont adoubé en 2001, 2006
et 2011 et qui ne cessent de relayer les appétits insatiables des intérêts
économiques qui pillent les ressources du Congo avec la complicité de la
nomenklatura regroupée au tour de lui.
Qu'il soit rappelé au
Chef de l'Etat que tous ceux qui ont méprisé le peuple congolais en privatisant
la gestion des ressources publiques à leur profit, à celui de leurs clientèles
et de leurs tuteurs étrangers ont connu une fin lamentable.
En 1908, le Roi
Léopold II est contraint de "céder" le Congo à la Belgique, en dépit
de nombreuses obstructions. Le 8 juillet 1960,le général Janssens, dernier
commandant en chef de la Force Publique(" après l'indépendance = avant
l'indépendance ") et le 16 mai 1997,le Maréchal Mobutu(" je ne dois
rien aux Zaïrois,ils me doivent tout ") quittent furtivement Kinshasa,
comme de quelconques quidams cherchant à échapper à une interpellation
policière pour se soustraire à la justice. Ce piteux épilogue contraste avec
les éblouissants fastes qu'ils déployaient du temps de leur splendeur.
De nombreux signes
annonciateurs indiquent que le Congo va bientôt revivre un scénario similaire.
Plus tôt, il se produira, mieux ça vaudra. Pris dans son propre piège, paralysé
par les impérities de son pouvoir et la concussion des prévaricateurs de sa
cour, Joseph Kabila multiplie les chausse-trappes contre les Congolais comme
cet engagement des partis politiques sous la houlette du président de la
commission électorale. Le Président ne s'est pas publiquement engagé à
respecter le prescrit constitutionnel qui lui interdit de briguer un 3°
mandat.
Les thuriféraires du
pouvoir annoncent la formation imminente du gouvernement au moment où le
paysage politique se recompose sous la férule d'anciens barons mobutistes. Un
" deal " semble être conclu avec eux pour utiliser leurs réseaux
nationaux et internationaux afin que le président brigue un 3° mandat sans
l'emprise du clan " Lubakat " en s'appuyant sur l'opposition "
républicaine " qui a parasité l'opposition radicale.
Peuple
congolais...débout !
Le tableau dépeint ci
-haut paraît si sombre qu'on serait tenté de croire que tout serait irrémédiablement
perdu. Les apparences sont si trompeuses qu'elles n'offrent qu'une vision
tronquée d'atouts dont peuvent disposer les Congolais.
Ce pays reste un
gisement inépuisable de richesses humaines; des ressources culturelles et
économiques, des compétences scientifiques et d'excellences intellectuelles.
L'intense mobilisation politique des diasporas congolaises, la créativité
sociale des masses congolaises et la probité intellectuelle de nombreux
universitaires sourds aux sirènes du pouvoir suggèrent que l'immense majorité
des Congolais refusent que leur pays soit pris en otage par des analphabètes
politiques tirant leur légitimité des appuis extérieurs. Expression d'un
patriotisme éprouvé, ce refus ouvre des perspectives d'espoir qu'il appartient
aux diasporas de concrétiser.
Il faut se féliciter
que les diasporas congolaises aient pris conscience des enjeux ;de l'ampleur,
du caractère récurrent et multiforme des interventions politiques, militaires
étrangères - qu'elles soient publiques ou secrètes - et leur impact sur le sort
du pays. Il faut aussi se réjouir que les Congolais - surtout les jeunes -
aient compris et l'expriment parfois avec véhémence que la confiscation de
l'expression électorale participe d'une stratégie bien rodée pour sans cesse
recycler l'odieux Pacte néocolonial noué en 1960-1961 reposant sur l'assassinat
du Premier MinistreLumumba. Cette lucidité
politique met en évidence l'échec des stratégies occidentales et elle commence
à inquiéter leurs chancelleries et les "faiseurs de rois" ainsi que
leurs séides au Congo.
Coup sur coup, les
diasporas congolaises ont réussi à obtenir une audience avec le Président de la
République française pour lui demander que la France use de son influence
diplomatique afin que l'ONU crée un tribunal international pour juger les
auteurs de crimes contre l'humanité commis au Congo; à rencontrer l'envoyé
spécial de l'UE dans la région des Grands Lacs et à faire annuler le concert
d'un artiste transformé en griot du pouvoir. Il importe d'amplifier et de
rationaliser cette mobilisation politique pour mieux orienter l'indispensable
travail de "lobbying" afin que les Congolais soient partie- prenante
du ballet diplomatique déployé autour de la tragédie qui décime leur
pays.
Il faut se donner les
moyens de se ménager un espace d'action dans les réseaux d'influence qui pèsent
sur les décisions prises de l'étranger concernant notre pays. C'est aussi le
moment de lancer une vaste opération "100 dollars pour le Congo" afin
qu'à court terme, les citoyens congolais s'approprient le processus électoral
en finançant les opérations de recensement obligatoire; l'achat du matériel ;
les campagnes d'information et d'éducation civique pour faire respecter la constitution
afin que le choix électoral s'accomplisse avec discernement.
A moyen terme, il
faut songer à constituer des fonds d'investissement pour que les Congolais
soustraient les importants secteurs de l'économie de la prédation et des
convoitises étrangères. Les flux financiers entre les diasporas et le pays se
déclinent sur le mode micro-économique des solidarités familiales. Ils peuvent
se décliner aussi sur un mode macro-économique.
Peuple congolais,
Debout! Tel est l'intitulé de l'éditorial de Conscience Africaine (n° nov-déc.
1956) revue éditée par un collectif des intellectuels du groupe éponyme que
fonda en 1951, l'abbé Joseph Malula. L'éditorial faisait le point sur
les réactions qu'avait suscitées la publication de leur Manifeste le 30 juin
1956.
58 ans après,
l'éditorial reste de brûlante actualité: dans un autre contexte historique, il
reste à déterminer les fondements d'une nouvelle alliance de classe entre le peuple
congolais et une fraction de son intelligentsia qui se défait d'une conception
cléricale de l'université et mandarinale du rôle des intellectuels pour
réinventer le politique afin qu'il prenne en charge les revendications des
milieux populaires.
Anicet MOBE
Chercheur en Sciences
Sociales
Membre du Collectif
des intellectuels congolais "DEFIS" - Paris
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