jeudi 9 août 2012
Très profond, à méditer sur "L'avenir de l'Afrique"
Avis d'un journaliste sur
l'avenir de L'Afrique. Qu'en pensez-vous?
Il arrive dans la vie qu'une conversation banale nous secoue pendant
des heures voire des jours. J'attendais tranquillement un ami au terminus
d'autobus de Montréal quand un monsieur d'un certain âge a pris place à mes
côtés avant d'engager l'une des conversations les plus enrichissantes de ma
vie. Professeur d'études stratégiques dans un institut international, l'homme connaît le continent africain comme
le fond de sa poche. Son analyse, son point de vue sur notre avenir, donne
froid dans le dos. Et s'il vous plaît, ne sortez pas la rancune du « colon
nostalgique ». Lisez avec la tête et la raison ce qu'il dit.
Je vous rapporte fidèlement ses constats : « Cela fait maintenant plus
de 25 ans que j'enseigne la stratégie. Dans ma carrière, j'ai eu affaire à des
dizaines d'officiers et de hauts fonctionnaires africains. Je suis
malheureusement obligé de vous dire ceci : du point de vue des études
stratégiques, de l'analyse et de l'anticipation, je leur donne un gros zéro
pointé. Nos stagiaires africains sont très instruits, ils ont de belles
tenues militaires ou manient le français de manière remarquable, mais, dans
les cours, ils ne nous apportent rien. Tout simplement, parce qu'à ma
connaissance, dans toute l'Afrique francophone, il n'y a pas un seul centre d'études
stratégiques et internationales avec des vrais professionnels à leur tête. Je
vais vous expliquer pourquoi je n'ai aucun espoir pour ce continent. Au
moment où je parle, le monde fait face à trois enjeux principaux :
l'énergie, la défense stratégique et la mondialisation.
Donnez-moi un seul cas où l'Afrique apporte quelque chose. Rien !
Commençons par l'énergie et précisément le pétrole. Tous les experts
mondialement reconnus sont unanimes à reconnaître que d'ici 15 à 20 ans,
cette ressource sera rare et excessivement chère. En 2020, le prix du baril
tournera autour de 120 dollars. C'est conscients de cette réalité que des
pays comme les USA, la France, la Chine, le
Royaume Uni, etc. ont mis sur pied des task force chargés d'étudier et
de proposer des solutions qui permettront à ces nations de faire main basse
sur les ressources mondiales, de s'assurer que quoi qu'il advienne, leur
approvisionnement sera assuré. Or, que constate-t-on en Afrique ? Les
dirigeants de ce continent ne sont même pas conscients du danger qui les
guette : se retrouver tout simplement privé de pétrole, ce qui signifie ni
plus ni moins qu'un retour à la préhistoire ! Dans un pays comme le Gabon qui
verra ses puits de pétrole tarir dans un maximum de 10 ans, aucune mesure de
sauvegarde, aucune mesure alternative n'est prise par les autorités.
Au contraire, ils prient pour que l'on retrouve d'autres gisements.
Pour l'Afrique, le pétrole ne comporte aucun enjeu stratégique : il
suffit juste de pomper et de vendre. Les sommes récoltées prennent deux
directions : les poches des dirigeants et les coffres des marchands d'arme.
C'est pathétique.
Ensuite, la défense stratégique. L'état de déliquescence des armées
africaines est si avancé que n'importe quel mouvement armé disposant de
quelques pick-up et de Kalachnikov est capable de les mettre en déroute. Je
pense qu'il s'agit plus d'armées de répression intérieure que de guerre ou de
défense intelligente. Pourquoi ? Parce que, comparées aux armées des nations
développées, de la Chine, de l'Inde ou du Pakistan, les forces africaines
rappellent plus le Moyen âge que le 21e siècle. Prenez par exemple le cas de
la défense anti-aérienne.
Il n'y a quasiment aucun pays qui possède un système de défense équipé
de missiles anti-aériens modernes. Ils ont encore recours aux canons
antiaériens. Les cartes dont disposent certains états-majors datent de la
colonisation ! Et aucun pays n'a accès à des satellites capables de le
renseigner sur les mouvements de personnes ou d'aéronefs suspects dans son
espace aérien sans l'aide de forces étrangères. Quelle est la conséquence de
cette inertie ? Aujourd'hui, des pays comme les Etats-Unis, la France ou
le Royaume-Uni peuvent détruire, en une journée, toutes les structures d'une
armée africaine sans envoyer un seul soldat au sol... Rien qu'en se
servant des satellites, des missiles de croisière et des bombardiers
stratégiques. A mon avis et je crois que je rêve, si les pays africains se
mettaient ensemble, et que chacun accepte de donner seulement 10 % de son
budget militaire à un centre continental de recherche et d'application sur
les systèmes de défense, le continent peut faire un pas de géant. Il y a en
Russie, en Ukraine, en Chine, en Inde, des centaines de scientifiques de très
haut niveau qui accepteraient de travailler pour 3000 dollars US par mois
afin de vous livrer des armes sophistiquées fabriquées sur le continent et
servant à votre défense.
Ne croyez pas que je rigole. Il ne faut jamais être naïf. Si la
survie de l'Occident passe par une re-colonisation de l'Afrique et la
mainmise sur ses ressources naturelles vitales, cela se fera sans état d'âme.
Ne croyez pas trop au droit international et aux principes de paix, ce
sont toujours les faibles qui s'accrochent à ces chimères.
Je pense qu'il est temps de
transformer vos officiers (dont 90 % sont des fils à papa pistonnés qui ne
feront jamais la guerre et je sais de quoi je parle) en scientifiques
capables de faire de la recherche et du développement.
Mais, je suis sceptique. Je crois que ce continent restera enfoncé
dans le sommeil jusqu'au jour où le ciel lui tombera sur la tête.
Enfin, la mondialisation. Malheureusement, comme dans tous les autres
sujets qui ont fait leur temps, les stagiaires africains que nous recevons
sont d'excellents perroquets qui répètent mécaniquement les arguments qu'ils
entendent en Occident. A savoir, il faut la rendre humaine, aider les
pays pauvres à y faire face. Vous savez, dans mes fonctions, il y a des
réalités que je ne peux dire, mais je vais vous les dire. La mondialisation
est juste la forme moderne de perpétuation de l'inégalité économique. Pour
être clair, je vous dirai que ce concept a un but : garder les pays pauvres
comme sources d'approvisionnement en biens et ressources qui permettraient
aux pays riches de conserver leur niveau de vie. Autrement dit, le
travail dur, pénible, à faible valeur ajoutée et impraticable en Occident
sera fait dans le Tiers-monde.
Ainsi, les appareils électroniques qui
coûtaient 300 dollars US en 1980 reviennent toujours au même prix en 2006. Et
puisque l'Afrique n'a toujours pas un plan cohérent de développement
économique et d'indépendance, elle continuera à être un réservoir de
consommation où seront déversés tous les produits fabriqués dans le monde.
Pour moi, l'indépendance
signifie d'abord un certain degré d'autonomie.
Mais, quand je
vois que des pays comme le Sénégal, le Mali, le Niger, le Tchad ou la
centrafrique importent quasiment 45 % de leur propre nourriture de
l'étranger, vous comprendrez qu'un simple embargo militaire sur les
livraisons de biens et services suffirait à les anéantir.
Pour terminer, je vais vous raconter une anecdote. Je parlais avec un
colonel sénégalais venu en stage chez nous il y a quelques mois. Nous
regardions à la télévision les images de millions de Libanais qui défilaient
dans les rues pour réclamer le retrait des soldats syriens de leur pays. Je
lui ai demandé ce qu'il en pensait.
Il m'a répondu : « Les Libanais veulent retrouver leur indépendance et
la présence syrienne les étouffe ». C'est la réponse typique de la naïveté
emprunte d'angélisme. Je lui ai expliqué que ces manifestations ne sont ni
spontanées ni l'expression d'un ras-le-bol.
Elles sont savamment planifiées parce qu'elles ont un but. Israël
piaffe d'impatience d'en découdre avec le Hezbollah et puisque Tel-Aviv ne
peut faire la guerre en même temps aux Palestiniens, au Hezbollah et à la
Syrie, son souhait est que Damas se retire. Une fois le Liban à découvert,
Israël aura carte blanche pour l'envahir et y faire ce qu'elle veut. J'ai appelé cet officier sénégalais il y a deux
jours pour lui rappeler notre conservation. Malheureusement, il était passé à
autre chose. Son stage ne lui a servi à rien. J'espère vraiment qu'un jour,
les Africains auront conscience de la force de l'union, de l'analyse et de l'anticipation.
L'Histoire nous
démontre que la coexistence entre peuples a toujours été et sera toujours un
rapport de force. Le jour où vous aurez votre arme nucléaire comme la
Chine et l'Inde, vous pourrez vous consacrer tranquillement à votre
développement. Mais tant que vous aurez le genre de dirigeants que je
rencontre souvent, vous ne comprendrez jamais que le respect s'arrache par l'intelligence et la force. Je ne suis pas optimiste. Car, si
demain l'Union Africaine ou la CEDEAO décide de créer un Institut africain
d'études stratégiques crédible et fiable, les personnes qui seront choisies
se précipiteront en Occident pour apprendre notre manière de voir le monde et ses enjeux. Or, l'enjeu est autre, il s'agit
de développer leur manière de voir le monde, une manière africaine tenant
compte des intérêts de l'Afrique. Alors, les fonctionnaires qui seront là, à
statut diplomatique, surpayés, inefficaces et incapables de réfléchir sans
l'apport des experts occidentaux se contenteront de faire du copier-coller,
ce sera un autre parmi les multiples gâchis du continent. Avant que vos
ministères des Affaires étrangères ne fassent des analyses sur la marche du
monde, ils feraient mieux d'en faire d'abord pour votre propre « intérêt ».
O.S. (journaliste, Montréal) : Veuillez transmettre ce message aux
amis et connaissances africains et à tous ceux qui se soucient du
réveil de l'Afrique.
Hamadou Yacouba
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