jeudi 19 juillet 2018
Le débat émotionnel suscité par l’adhésion d’Elikya Mbokolo au FCC devrait être approfondi.
Le problème au Congo-Kinshasa est que
plusieurs débats ont une part émotionnelle très importante. Souvent, ils durent
le temps d’un feu de paille. Il est rare que les questions suscitant des débats
émotionnels chez nous aient le temps d’être sérieusement analysées avant que
nous passions à autre chose. Je ne le dirai jamais assez : « Remettre les
cerveaux à l’endroit prendra du temps. Et même beaucoup de temps. »
Quand la question des intellectuels
est posée chez nous, rares sont des compatriotes prenant le temps de chercher à
savoir pourquoi « cette classe » a été créée. Plus rares encore
sont des compatriotes pouvant chercher à en saisir des bribes d’héritage
historique. Sur cette question, je partage l’approche de Noam Chosmky dans « Deux
heures de lucidité ».
Dans ce livre, ce grand penseur de
tous les temps fait la différence entre « les prophètes de la
cour » et « les véritables prophètes ». A son avis,
« un intellectuel » digne de ce nom est « un prophète ».
C’est-à-dire un homme capable de remettre en question les orientations
socio-politiques de sa société à ses risques et périls. Ces
« prophètes » étaient tués ou envoyés au désert par
« les Rois » et les autres grands du monde. En marge de ces
« véritables prophètes », il y avait aussi les prophètes de la
cour. Ceux-ci avaient pour mission de caresser « les Rois » et
» les Grands » dans le sens de leur poil.
L’identification
de tous les prophètes à la catégorie des « prophètes engagés » pour
le bien commun, pour l’intérêt général, pour les petits et les autres
laissés-pour-compte est une erreur d’appréciation. Elle ne permet pas de penser
à la possibilité des « prophètes-intellectuels » experts de la cour
des « rois fainéants ».
Dans cette approche du
« nabi » (prophète-intellectuel, il est intéressant de savoir
que les deux catégories sont reconnues par la société comme relevant du domaine
des prophètes-intellectuels. L’identification de tous les prophètes à la
catégorie des « prophètes engagés » pour le bien commun, pour
l’intérêt général, pour les petits et les autres laissés-pour-compte est une
erreur d’appréciation.
Elle ne permet pas de penser à la
possibilité des « prophètes-intellectuels » experts de la cour
des « rois fainéants ». Elle réduit tous les
« prophètes-intellectuels » à une seule catégorie et peut avoir
comme conséquence le rejet des « prophètes-intellectuels » en
bloc et la promotion de l’ignorance, du fanatisme et de la bêtise. Dans cet
ordre d’idées, l’adhésion d’Elikya Mbokolo au FCC pourrait conduire plusieurs
d’entre nous à croire que tous « les prophètes-intellectuels »
congolais font « la politique du ventre ». Dieu merci ! Cette
adhésion a lieu au moment où 100 autres
« prophètes-intellectuels » congolais ont publié leur
»Manifeste » contre le troisième mandat d’un « Président
illégal et illégitime ». (Bien que n’étant pas d’accord avec eux sur leur
approche cloisonnée des disciplines scientifiques, je soutiens qu’ils se
démarquent des « prophètes-intellectuels » de la cour du
« Roi fainéant », Alias Joseph Kabila).
( suite)
Demander que le débat suscité par
l'adhésion d'Elikya Mbokolo au FCC soit approfondi, c'est chercher à aller
au-delà de son côté émotionnel. C'est chercher à comprendre pourquoi, dans la
guerre raciste et de prédation menée contre le Congo-Kinshasa depuis
l'assassinat de Lumumba (et même avant), l'intellectuel congolais est dans la
ligne de mire ou des partisans de l'avènement d'une société progressiste ou
dans celle des forces vassalisantes.
De prime abord, je rappelle que
viser l'intellectuel pour en faire ''un expert en médiocratie'' n'est pas une
spécificité congolaise.
Depuis des milliers d'années et à
quelques exceptions près, enseigne Noam Chomsky, ''le rôle des intellectuels
(…) consiste à faire en sorte que les gens soient passifs, obéissants et
programmés'' afin que leur éveil ne puisse pas mettre à mal les privilèges des
puissants, des dominants. Contrôler les masses, fabriquer le consentement et
tenir les citoyens loin des débats publics rationnels, etc. sont des rôles
assignés à l'intellectuel, propagandiste des idées et de la classe dominantes.
L'éveil des consciences fondé sur les idées progressistes, c'est-à-dire rendant
l'humain capable de réaliser le meilleur de lui-même en tant qu'un être pour
soi et un être avec (les autres), libère. Or, ''plus une société devient libre,
plus il est difficile d'utiliser la force, plus il faut déployer d'énergie pour
contrôler les opinions et les comportements.
Ce n'est pas par hasard si
l'industrie de la propagande est née en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis''.
Donc, pour éviter cette libération-émancipation des esprits, plusieurs moyens
sont mis à profit ; les énormes firmes de relations publiques, de
publicité, d'art graphique, de cinéma, de télévision, etc.
Le côté émotionnel du débat sur
l'adhésion du professeur Elikya Mbokolo au FCC risque de pousser plusieurs
d'entre nous à croire que la lutte pour l'enchaînement de la pensée est une
spécificité congolaise. Non. Ce débat devrait être replacé dans un cadre beaucoup
plus large permettant de comprendre que ''la défaite de la raison'' est de plus
en plus la chose la plus partagée au monde.
Cela étant, la justification de
la qualité d'intellectuel par des diplômes ne suffit plus. La fabrique des
experts procède de plus en plus par l'imposition d'une seule culture, d'une
culture hégémonique comme étant l'unique modèle à reproduire. (Quelques livres
peuvent aider à mieux étudier cette question :
o
S.
GEORGE, La pensée enchaînée.
o Comment les droites laïque et
religieuse se sont emparées de l'Amérique,
Paris, Fayard, 2007 ;
o C.-E. de SAINT GERMAIN, La défaite de la
raison. Essai sur la barbarie politico-morale contemporaine, Paris,
Salvator, 2015 ;
o A.
DENEAULT, La médiocratie, Paris, Lux, 2015 ;
o A. DENEAULT, Le totalitarisme pervers. Aux
origines de la médiocratie, Rue de de l'échiquier, 2017 ;
o J.-P. MBELU, A quand le Congo ?
Propositions & réflexions pour un panafricanisme des peuples, Paris,
Congo Lobi Lelo, 2016)
Si l'intellectuel-expert est
souvent ''un prophète de la cour des grands'' les caressant dans le sens de
leurs poils, il y a un autre modèle d'intellectuel, proche du ''nabi'' de la
Bible. ''En Occident, soutient Noam Chosmky, on l'a traduit par ''prophète''.
En fait, il désigne l'intellectuel. Ceux qu'on appelait des prophètes se
livraient à des analyses politiques et prononçaient des jugements moraux. A
l'époque de la Bible, ils étaient haïs et méprisés.. On les jetait en prison ou
on les envoyait dans le désert, parce qu'ils étaient dissidents.'' Les
flatteurs, eux, étaient applaudis.
Ce qui distingue le modèle proche
du ''nabi biblique'' de ''l'autre intellectuel-expert'', c'est sa capacité
d'analyse politique, son engagement pour la justice sociale, la paix et le
droit ; la haine, le mépris et la prison qui en découlent. L'intellectuel
proche du ''nabi biblique'' est un dissident vis-à-vis du pouvoir établi, des
dominants, de leurs proxys et/ou de leurs ''nègres de service''. Il est, en
quelque sorte un intellectuel organique. Dès que cela est perdu de vue, le
risque du relativisme devient grand. On croit facilement que tous les choix
s'équivalent.
Persévérer dans la lutte pour la
justice sociale, la paix et le droit;tenir dans le mépris, la haine et la
prison, cela n'est pas toujours facile. Il arrive que naissent des groupes
d'opportunistes passant d'un camp à l'autre selon les circonstances. Ou des
groupes d'extrémistes qui, au nom du nihilisme, veulent imposer le sacrifice
suprême et à eux-mêmes et aux autres pour qu'à jamais triomphent les passions
heureuses. Ou encore des intellectuels courageux déterminés, au nom de la
dignité congolaise et du patriotisme, à convertir l'impossible en
possible ; contre vents et marées.
Un débat émotionnel sur la question
de l'intellectuel congolais peut être simplificateur et éviter sa complexité.
Il peut être expéditif et refuser de questionner l'histoire.
En lisant et en analysant le
Manifeste des Universitaires Congolais, je les trouve suffisamment proches du
''nabi biblique''. Ils veulent être ''la lumière'' pour les populations
congolaise et éviter de se livrer à la politique du ventre. Ils décrient ''un
pouvoir illégal et illégitime'' tout en prenant soin d'indiquer que ''le
président de la République'' pourrait commettre un crime de haute trahison s'il
ne respectait pas son serment constitutionnel.
J'avoue que ce discours officiel
me dérange. Certains des miens ne l'acceptent pas. Pourquoi ? Il ne dit
pas de quoi ''Alias Joseph Kabila'' est le nom(http://www.ingeta.com/de-quoi-joseph-kabila-est-il-le-nom/)
Ce monsieur n'est pas venu au Congo=Kinshasa pour participer aux élections et
il n'en n'a jamais gagné. Ce n'est pas un hasard que, l'un de ses ex-proches,
Moïse Katumbi, ait fait un jour allusion aux élections-pièges-à-cons de 2005 et
de 2011 en parlant de ''faux penalties''.
Ignorer l'histoire d' ''Alias
Joseph Kabila'' comme ''Cheval de Troie'' de Paul Kagame et comme ''un jeune
manipulable'' pour les multinationales et se contenter de ne parler que de ce
que ''la Constitution'' lui permet ou lui interdit, c'est se livrer à ''un
constitutionnalisme sans histoire''.
Les Universitaires signataires du
Manifeste auraient mieux fait de dépasser le cloisonnement des disciplines en
ajoutant des éléments historiques ''vrais'' pour fonder l'usurpation du
''pouvoir-os'' par un mercenaire. Cela sortirait le pays d'une fausse lecture
de notre histoire collective.
Ils critiquent l'adhésion d'un
professeur (au FCC) reconduisant l'histoire officielle en se servant de la même
histoire officielle, sans une remise en question informée par toute la
documentation dont plusieurs d'entre nous disposent actuellement sur la guerre
raciste de prédation, perpétuelle et de basse intensité que le pays connaît
depuis plusieurs années. Là, il y a un problème d'interdisciplinarité qui leur
échappe.
A mon avis, une éthique
reconstructive négligeant l'interdisciplinarité (et surtout le devoir de
mémoire) pourrait conduire le pays au plus profond du gouffre où il se trouve
déjà.
La lettre de Gloria Senga (http://www.voiceofcongo.net/lactiviste-gloria-senga-adresse-une-lettre-ouverte-au-professeur-elikia-mbokolo)
semble prendre un peu plus la dimension historico-éthico-économique de
l'affairisme de ''la kabilie'' en compte que le Manifeste des Universitaires.
Décrier ''les prophètes de la
cour'', les tambourinaires, les thuriféraires et les autres faussaires à partir
d'une approche interdisciplinaire pourrait permettre de poursuivre pendant
longtemps le débat sur la question de l'intellectuel congolais et de la guerre
contre l'intelligence dans un pays où l'espace public est verrouillé depuis
l'assassinat de Lumumba jusqu'à ce jour.
Ce débat-ci va au-delà de
l'émotion causée par l'adhésion d'un ''mort'' au Front Commun Contre les
Congolais(es). Il pourrait conduire aux propositions faites pour une Révolution
Culturelle indispensable à la renaissance d'un autre Congo.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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